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Quelques notes sur le roman ‘Cette chose étrange en moi’, d’Orhan Pamuk

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Je reprends ici le fil posté sur Twitter.

Je viens d’achever ‘Cette chose étrange en moi’, d’Orhan Pamuk. Magnifique (mais long) roman sur Istanbul, à travers le regard d’un jeune migrant, vendeur ambulant, qui s’installe dans un gecekondu et grandit au fur et à mesure que la ville s’étend et se transforme.

Cette fresque urbaine vue d’en bas et des périphéries relate les mutations du tissu bâti d’Istanbul, en particulier le mouvement dialectique d’horizontalisation et de verticalisation/densification, sous l’angle des spéculations balzaciennes à la César Birroteau.

Mais aussi du point de vue des changements d’ambiance et dans les modes de sociabilité qu’entrainent ces changements de formes urbaines, qui vont avec la création d’écarts de richesse impressionnants.

Sur le plan matériel, une autre dimension fascinante du roman est le lien entre la modernisation et l’électrification urbaine, dont
@elvan_arik a fait une analyse passionnante pour @JadaliyyaCities.

La mise en scène des stratégies matrimoniales est un des autres aspects très intéressants du roman, qui lui donne son énergie narrative puisqu’il est aussi un très beau roman d’amour, malgré et au travers les contraintes sociales qui pèsent sur les choix des individus.

A cet égard, l’évolution des rôles féminins, sur trois générations, est très marquante. Les paysannes des années 1930-40 qui donnent naissance à des familles nombreuses vivent dans l’ombre de leurs maris qui migrent en ville. Certaines rejoignent la ville, d’autres non

Les femmes des générations 1955-65 sont aspirées par le marché matrimonial urbain et épousent de jeunes travailleurs peu instruits qui cherchent à faire leur place en ville à partir des gecekondus familiaux. Dans le roman elles ont 2 à 3 enfants et restent dans un rôle domestique

De manière intéressante toutefois, ces jeunes femmes ne sont pas que des monnaie d’échange dans les stratégies matrimoniales et, par des comportements de rupture, affirment leur choix, qui subvertissent plus ou moins ces logiques familiales.

Leurs filles en revanche sont scolarisées et vont parfois jusqu’à l’université. Elles choisissent bien plus leur destin matrimonial et l’impose à leur famille faisant imploser l’horizon hérité et transposé en ville des solidarités villageoises, composant de nouvelles géographies.

Le roman a également un arrière-plan politique passionnant. Les clivages ethnico-géographiques (kurdes/alévis/turcs pour aller vite) de la Turquie républicaine s’incarnent dans une compétition politique entre nationalistes et gauche, qui s’ancre dans les quartiers populaires

Les années 1970 constituent une période de radicalisation politisation dont j’ai été frappé de la ressemblance avec ce qui se passait au même moment au Liban dans la mobilisation de la jeunesse, avec la même exacerbation des identités politiques et ethniques ou confessionnelles

Pour la période plus récente, l’ascension politique de l’AKP, jamais nommée en tant que telle dans le roman, est minutieusement indexée sur l’émergence d’une nouvelle classe sociale d’entrepreneurs du bâtiment, productrice justement du nouveau paysage urbain d’Istanbul.

roman #istanbul


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